Renoir est-il plus noir que Maupassant ?



Comment Maupassant et Renoir ont-ils mis en scène « le noir » ?



Pour Renoir de manière noire par moment mais pas seulement ; de manière tendre aussi et c’est ce qui nous affecte dans son film, il n’a pas la même distance. Par moment le point de vue est cruel. (Sur Dufour, sa femme, Anatole, la grand-mère, mais aussi sur Henri et le « patron » du bistrot Poulain). En même temps il les regarde avec un regard humain dépeint par exemple la bêtise ou leurs codes de comportements absurdes avec tendresse : son amusement est à la fois sarcastique et chaleureux. Nos rires en ont témoigné à la projection de ce samedi.

Moins cruel sur Henriette et Rodolphe, on peut le noter, quoiqu’on sente qu’il prend une touche de distance vis-à-vis de son innocence un peu feinte qui confine à de la naïveté, et à sa conduite de fille unique qui dans le fond règne en princesse dans le clan Dufour. Henri, on a vu, lui sert pour nous brasser dans plusieurs sens entre empathie et doute. (Renoir dit se méfier des idéalistes et n’a pas le même caractère mélancolique et plombant que Rodolphe, il est plutôt nostalgique que mélancolique).

Par rapport à Beckett et Fin de Partie il y a dans le film de Renoir une même peinture de l’absurde du côté du duo Laurel et Hardy (Dufour, Anatole), qui contamine le tableau d’ensemble de la famille et des situations. Plus précisément il s’agit d’un grotesque pris dans l’absurde. Beckett fait partie de cette veine, comme Kafka. Il y a du noir dans le Procès, mais en même temps de l’humour. Ce grotesque est à la fois comique et grinçant, il nous concerne, il fait peser une menace. La menace du rien qui se trouve sous toute existence, et d’où sort toute existence.

Toute existence est incarnation particulière et ces particularismes confinent forcément au ridicule, à l’absurde, si on les regarde à la loupe, si on grossit le trait etc.. On présente des personnages qui baignent dans leurs codes, leurs conventions, sans distance. Ils n’existent que par leurs conventions poussées jusqu’à l’absurde. Sans ces conventions ils ne sont rien. Ils n’existent pas. Si bien qu’en arrière-plan ce qui menace derrière leur bonhomie, c’est leur néant. Je crois que c’est ce rien qui nous met mal à l’aise. Tandis que nous rions de leur grotesque. Ce rien par lequel ils existent. Ce néant d’où ils sortent pour exister. Pour exister ils n’ont pas d’autres choix que de jouer leurs stéréotypes. On rejoint la thématique du théâtre chère à Renoir.

Les canotiers, en particulier Rodolphe, affirment quant à eux le grotesque des particularismes, se revêtent de ses vêtement et font de l’entreprise de séduction une pièce de théâtre, entre le comique et le drame. Si bien que le spectateur est brassé entre d’un côté l’absurde des stéréotypes avec lesquels se confond la famille Dufour et surtout le duo Anatole Dufour – et de l’autre côté le jeu de rôles des deux canotiers.

Chez Maupassant il en va autrement, le grotesque des personnages ; en particulier ceux des deux canotiers ou des parents Dufour ; qui est exprimé au moment du repas commun, n’est pas tiré vers l’absurde ; c’est la situation et le drame social qui l’est. Il y a chez Maupassant un fatalisme, un constat froid de la situation. La peinture est cruelle, caricaturale, sévère socialement, mais en aucun cas l’existence des personnages n’affecte la nôtre ; nous restons à l’extérieur d’eux. Tandis que chez Renoir nous sommes à la fois devant eux et AVEC eux. Nous y sommes, dans le tableau.

Aucun commentaire: