La larme : Quel sens lui donner ?














C'est dans Partie de campagne le plan le plus sensible, sujet à des interprétations.

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En particulier la larme dans ce très gros plan du visage de Sylvia Bataille interroge la place du spectateur. Notre place au premier chef.  Une larme renvoie à une autre. Sous une larme se cache une autre larme.


Tout film réserve une place à son spectateur la construit, avec bien sûr une marge de latitude qui permet au spectateur de lui donner un ou plusieurs sens simultanément. Mais il est assigné à une interprétation de la situation plus ou moins ouverte ou déjà déterminée.

Ce plan renvoie directement au plan de la balançoire sur de multiples aspects. A la situation de plaisir et de voyeurisme. Avec une sensation de malaise. Nous passons d'un côté et de l'autre de l'image de par le fait que la comédienne nous adresse son regard (un regard caméra).

Est-ce ce plan que Renoir a retenu pour son film ?
Pas tout à fait car dans le film il est volontairement flou - Celui de notre photo est tiré des multiples prises que Renoir a tourné avant d'obtenir ce qu'il voulait. On peut voir dans les bonus du dvd la répétition inlassable du metteur en scène, jusqu'à ce qu'il parvienne à ce résultat. (Selon Charles Tesson, cf . La revue Cinémathèque n°11).

Renoir inscrit notre place de spectateur et y inclut par la même occasion le "schème" du dispositif cinématographique : son impression de réalité.

Les critiques des Cahiers du cinéma, futurs réalisateurs de la nouvelle vague ont retenu ce plan. Il renvoie à celui d'un autre cinéaste qu'ils affectionnent : Ingmar Bergman, et à ce fameux plan de Monika où l'actrice regarde elle aussi la caméra. On sait l'admiration de Bergman pour Renoir. D'autre part Jean-luc Godard dés A bout de souffle construit son film en donnant à voir des marques d'énonciation : en inscrivant dans la fiction ses propres pensées. Jean-Paul Belmondo s'adressant par exemple à la caméra pour mettre le spectateur de son côté.

Dans cette séquence de la larme de Henriette on sent la présence de Renoir, son plaisir ou sa recherche, ses questions. Mais tout cela ne répond pas encore à notre question : Quel sens donner à cette larme ?  Question que nous laissons ouverte.

Post scriptum :  Les larmes, Une histoire sans fin :
Dans L'histoire sans fin, on voit Bastien essuyer une larme lorsqu'il lit dans le livre que Atreyu pleure. Celui-ci vient d'assister à la noyade de son cheval blanc Artax que les marais glauques de la mélancolie ont englouti.

Bastien essuie sa larme avec un mouchoir dans le grenier où il s'est réfugié à l'abri comme dans un ventre maternel. Je pose la question : Qui est triste ? Les réponses que l'ont peut trouver sont les suivantes : le cheval puisque les marais engloutissent ceux qui sont tristes, l'impératrice puisque Fantasia s'écroule de tous les côtés atteint d'un mal étrange; mais aussi Atréyu qui perd son cheval ; enfin Bastien qui lit cette histoire.

Mais la chaîne n'est pas terminée : Bastien dans le film pleure on peut l'imaginer parce qu'il a perdu sa mère, (il vit seul avec son père) et que donc il se projette dans la tristesse et associe la perte du cheval avec celle de sa mère. On aurait pu arrêter là mais il y a une réponse que personne ne trouve : c'est que le spectateur lui-même se projette dans cette scène, il y est même dépeint : Bastien en tant que lecteur de l'histoire est notre représentant, à notre place en tant que spectateur de l'histoire de ce film. Il y a une mise en abîme, c'est en cela que l'histoire est sans fin, parce que nous spectateur la continuons. La tristesse que Bastien éprouve, et sa projection dans la tristesse de Atreyu, personnage de fiction, est la notre.

Alain ARNAUD

3 commentaires:

annemarie a dit…

On sait que Renoir croyait à la force du destin, « à ces forces mystérieuses, à ces courants invincibles qui nous attirent vers un but inconnu ».[Pour vous n°242 /1933] et qu’il souhaitait dans son cinéma montrer comment les personnages/personnes réagissent à ce qu’il pense être une inéluctabilité.
Il veut faire surgir chez l’acteur, professionnel ou non, le naturel--aujourd’hui on dirait probablement l’authenticité. Il écrit :
« Ce côté documentaire du travail me semble passionnant. Il permet de surprendre, si on a de la chance, cette étincelle de vie que les êtres laissent parfois échapper lorsqu’ils sont sans contrôle et qui peut être révélatrice de leur destin. »
Cette larme est-elle révélatrice du destin d’Henriette, du destin de Sylvia Bataille, du destin des femmes, de la Femme --que sais-je encore !!! N’oublions pas que le texte de Maupassant date de 1881 et le film de Renoir de 1936.
Un message est –il adressé au spectateur et à la spectatrice ?
Par qui ? par Renoir bien sûr, par Sylvia Bataille, par Maupassant , « les désirs infinis de bonheur.. » la font pleurer sans savoir pourquoi, elle ne cesse de pleurer doucement jusqu’au sanglot final et le retour à la solitude et au silence.
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Tiens ! A propos ! divertimento , je n’ai que deux livres de cinéma sur mes étagères : les souvenirs de Raoul Coutard et les Ecrits de Jean Renoir ; et ma mère s’appelle Henriette.

Michèle Robert a dit…

Cette larme c'est un peu la nôtre : homme ou femme. Ce n'est pas une question de destin de la femme et de Henriette; même si on peut en être ému. C'est notre destin, notre condition et c'est cela qui nous touche.
C'est la larme issue de la confusion, de l'approche de ce que signifie le trouble révélé à la mère. Henriette sait qu'elle va s'abandonner et qu'elle estompera peut-être le trouble que n'a pas su lui expliquer sa mère. La larme est celle du plaisir de la découverte mais aussi du frisson qu'il engendre.
La larme de la découverte de l'ivresse qui est accompagnée de la découverte quasi simultanée de son aspect éphémère.

Ils repartent, moins proches. Les larmes de Henriette coulent-elles encore ?
D'autres idées viendront sans doute après la projection.
Une question : pourquoi l'image est-elle plus floue dans le film ?
Pourquoi Renoir a choisi cela ?

Anonyme a dit…

Des larmes d'avoir perdu son âme d'enfant ?
Dans la suite de l'histoire nous la retrouvons dans sa condition de femme beaucoup moins sensible voire rigide et froide .
Tous ces personnages ambivalents .Dualités que nous connaissons tous en miroir (reflet dans l'eau),embarqués sur la rive (de la vie) .